Oui, à l’immersion en bilingue en langue des signes

 

ZoomDIMANCHE N°4 Dimanche 1er février2015

ENSEIGNEMENT

Oui, à l’immersion bilingue en langue des signes

Bouqut de crayonsUn bouquet de crayons de toutes les couleurs, symbole explicite de nos différences, tel est le rappel visuel ou l’icône des Funambules. On s’en doute, le choix de ce nom n’est pas le fruit du hasard. Ils sont équilibristes ces enfants, qui serpentent entre deux cultures, tout comme ces professionnels et bénévoles enthousiastes qui gravitent autour du projet namurois d’immersion en langue des signes et en français.

Pour célébrer dignement les 15 ans d’existence du projet. M, soirée anniversaire a été concoctée le 20 janvier 2015, avec la projection d’un film. Silence, on tourne… « Les Funambules de Sainte-Marie ». Le ton de ce film est résolument joyeux, voire caustique, à l’image de Gilles et Floriane, deux adolescents têtes d’affiche du film. Flèves de l’établissement namurois Sainte-Marie, en cinquième et troisième, humanité, ils y ont suivi leur scolarité depuis leur plus jeune âge. Ce sont, en quelque sorte, les pionniers de cette aventure. En les plaçant à l’avant de la scénographie, Raphaël Volon, le réalisateur, déploie une ligne du temps visible et crédible. Ce projet existe, puisque ces deux émissaires en témoignent. La complicité espiègle qui unit les deux jeunes insuffle un peu de légèreté à la gravité du sujet. Un choix d’enseignement en immersion inscrit les parents et les enfants dans une dynamique particulière. C’est une démarche mûrement réfléchie. La force de ce documentaire est de placer les spectateurs au coeur de l’école, à côté des enfants, entendants, malentendants, sourds, attentifs, distraits, rieurs… Bref des écoliers comme fi en existe, heureusement, des millions en Belgique et ailleurs.

Trois partenaires pour un défi

Depuis 15 ans, trois partenaires se complètent pour réaliser l’aventure quotidienne des Funambules: la communauté scolaire Sainte-Marie à Namur, l’asbl ‘Ecole & Surdité’, et l’Université de Namur. l’administratrice déléguée de l’asbl ‘Ecole, & Surdité’, Claire de Halleux, revient pour nous sur l’actualité de l’association. « L’urgence est double. La première est de donner une information précise et complète sur ce dispositif scolaire qui existe à Namur et permet l’inclusion de groupes d’élèves sourds dans des classes ordinaires avec une pédagogie d’immersion bilingue en langue des signes et en français. La réalisation du film ‘Les funambules» amène des éléments de réponse aux questions sur le fonctionnement de ces classes, leurs objectifs et la ligne de conduite. La deuxième, c’est de convaincre de manière plus définitive et complète les responsables du cabinet de l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles de la pertinence du programme pédagogique de ces classes et donc de la nécessité impérative que ces classes soient reconnues et subsidiées pour le cursus complet. L’absence de reconnaissance en totalité met en péril la scolarité des élèves inscrits dans ces classes. Nous demandons une reconnaissance de l’ensemble du dispositif scolaire jusqu’à la fin des secondaires. C’est le cas pour les filières d’immersion en langues orales, c’est un droit linguistique et pédagogique. «  L’administratrice déléguée de l’asbl ‘Ecole & Surdité’ est aussi pédiatre. « On est dans un monde majoritairement entendant, dominé parles langues orales dans lequel toute une série de progrès techniques ont multiplié le champ des possibles pour tout un chacun; une société profondément multilingue, où la connaissance des langues est fondamentale. L’alliance, la synergie de ces deux versants (potentiel langagier intact de ces enfants sourds à l’origine et les technologies mises à leur service, et pas l’inverse) doit ouvrir toutes les portes.  » Quel est le plus grand obstacle aujourd’hui? « L’opposition entre les deux manières de regarder la surdité. On peut regarder la surdité par le versant culturel et linguistique, ou bien on peut regarder les personnes sourdes comme des personnes déficientes et vouloir exclusivement réparer leur audition déficiente.  » Son plus beau souvenir reste l’expérience de certains enfants « arrivés dans ces classes sans langue, sans langue orale de la maison (le français le turc, etc.), sans langue des signes. Je les ai vus s’épanouir, au fil des jours et des semaines, dans une langue et puis dans l’autre. Ils sont entrés dans une langue, dans l’humanité, et leurs yeux ont pétillé… « .

Une double compétence

Laurence MeurantLinguiste de formation, Laurence Meurant accompagne le projet d’immersion en langue des signes depuis ses débuts. Chercheuse qualifiée pour le FNRS, elle nous précise les spécificités, de cet apprentissage en immersion. « Les deux langues sont inséparables. La langue des signes est la langue des échanges oraux, en face à face, et le français est la langue de l’écrit. En classe, les deux langues sont tout le temps en articulation l’une avec l’autre, imbriquées l’une à l’autre. C’est l’une par l’autre que les enfants construisent leur maîtrise langagière et, avec elle& de tous leurs savoirs scolaires. La plus grande difficulté se situe du côté des enseignants bilingues qui doivent trouver comment, dans le même temps que leurs collègues francophone& amener les enfants non seulement à construire des compétences dans les matières scolaire& mais aussi à les construire dans les deux langues et dans la comparaison des deux langues Mais, par ce parcours scolaire. les élèves développent une compétence de prise de recul sur leurs deux langues, et de ce fait un entraînement intensif à l’abstraction. « 

Une précieuse collaboration

Chaque mois, les enseignants et interprètes des classes bilingues se retrouvent avec les linguistes de l’Université de Namur, lors d’une formation continuée. « Cela permet de guider les réflexions sur la langue des signes et son usage dans l’enseignement. C’est aussi une mine de nouvelles interrogations qui guident les recherches. « Au fil des années, le type de questionnement a évolué. « L’équipe pédagogique s’agrandit chaque année Au début, il y avait beaucoup de questions de vocabulaire, de lexique… Ces questions apparaissent moins, la langue circule mieux. Beaucoup de questions des débuts sont résolues par des discussions dans la salle des profs. Aujourd’hui, les questions se diversifient. Par exemple, comment l’enseignant peut-il ou doit-il utiliser l’espace lors d’un cours de mathématiques, en fonction de l’âge des élèves et de leur capacité ou non à traiter l’inversion spatiale qui lie deux interlocuteurs face à face (sa droite = ma gauche)? Quelles limites et nuances entre le rôle de l’enseignant et celui de l’interprète? Ce sont des différences entre les deux métiers qui doivent être pensées  » A Sainte-Marie, les élèves apprennent la langue des signes de Belgique francophone (LSFB). « Les différences entre les langues de signes sont essentiellement situées du côté du lexique, du vocabulaire. Les grands principes de la grammaire sont beaucoup plus semblables d’une langue des signes à Vautre, explique encore Laurence Meurant. Si l’aventure vous tente, sachez que le DVD sera commercialisé au prix de 20€ (hors frais de port). Voilà une manière d’appréhender cet enseignement in situ. Car, comme le rappelle Claire de Halleux, « il vaut mieux poser des questions, que rester avec de mauvaises informations! »

Angélique TASIAUX

Infos pour le DVD du film « Les funambules de Sainte-Marie »: magalg.ghesquiere@ eroleetsurdite.be tél. 0484. 24 91 70 ww.ecoleetsurdite.bel

Article paru dans  :

Femmes d’aujourd’hui n°39 du 24 septembre 2015

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